En plus d’être menacée par les défaillances dans la gouvernance et la démocratie qui menacent sa stabilité, la sous-région ouest africaine doit faire face au fléau de la désinformation. Les nouvelles technologies numériques aidant, ce phénomène est devenu quasi incontrôlable, attise et amplifie les crises au sein des sociétés.
En mai 2021, des incidents ont éclaté entre le Niger et la Côte d’Ivoire. A l’origine, une courte vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, dans laquelle des hommes en tenue militaire s’exprimant en Haoussa, une des principales langues du Niger, commettaient des violences sur des jeunes présentés comme des migrants ivoiriens. Cette vidéo qui a failli compromettre les relations entre deux Etats frères se révélât être un contenu tronqué. L’objectif des auteurs était de désinformer et manipuler l’opinion.
Désinformer pour manipuler les populations n’est pas une pratique nouvelle. Mais si elle est devenue préoccupante aujourd’hui, c’est parce que les nouvelles technologies ont démocratisé à outrance « la création, la production et la diffusion de l’information », estime le journaliste-chercheur, Samba Dialimpa Badji.
Pour l’ancien rédacteur en chef du bureau francophone d’Africa Check, un média en ligne spécialisé en fact-checking, « la désinformation a toujours existé mais c’est son ampleur qui inquiète aujourd’hui ».
La défenseure des droits humains, Mme Fatou Jagne Senghor, pense quant à elle que la désinformation constitue même un outil redoutable pour « attiser ou amplifier les divisions, les clivages dans les sociétés ».
M. Badji et Mme Senghore intervenaient lors d’un débat en ligne organisé le 27 mars 2024 par Ouestaf News dans le cadre de son « Forum Ouestaf » sur le thème : « Désinformation, pouvoirs et pratiques politiques en Afrique de l’ouest ».
Le contexte des Etats africains surtout ceux de la sous-région ouest africaine est marqué par des problèmes de gouvernance, de démocratie, de corruption, etc. Ces fléaux constituent déjà une réelle menace pour la stabilité des Etats.
Dans cette situation fragile, avec l’aide des technologies numériques, la désinformation peut facilement précipiter « les sociétés dans des crises », analyse Mme Senghore, juriste et ancienne directrice de l’Ong Article 19.
Pour limiter les effets de la désinformation sur la société, certains Etats de la sous-région, ont recours à la coupure de l’Internet ou à la restriction à son accès. Mais selon Mme Senghore « toute réponse à la désinformation doit prendre en compte la liberté d’expression et doit être faite de manière transparente ».
Comment être transparent si « la désinformation est au cœur même du contrôle du pouvoir », s’interroge Samba Dialimpa Badji qui ajoute que « la désinformation y est même plus structurée et organisée ».
Aujourd’hui, « les Etats se battent sur le terrain de la désinformation ». Ils font partie des principaux acteurs et créateurs de faux contenus comme le démontre une étude réalisée en 2023 par Dr Fatou Seck Sarr, chercheuse en communication à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. L’étude qui a porté sur la circulation des faux contenus partagés au quotidien sur WhatsApp lors des manifestations de juin 2023 au Sénégal, démontre « une proportion importante de rumeurs provoquées à des fins de propagande politique, des fake news provenant de sources officielles, une défiance politique et médiatique exacerbée ».
Tout cela montre que la désinformation menace la vie publique. Pour lutter contre le fléau, plusieurs solutions sont proposées par des pouvoirs publics, les médias et la société civile. Au sein des médias, l’une des solutions phares est la vérification des faits ou fact-checking.
Face à ce déluge d’infox, les journalistes s’orientent de plus en plus dans la vérification des faits. « Les fausses informations sont devenues monnaie courante, surtout au Sahel », a témoigné le journaliste malien Malick Konate, dans le rapport de classement 2023 de Reporter sans frontières (RSF).
Selon Fatou Jagne Senghore, la répression n’est pas la solution pour lutter efficacement contre la désinformation. A la place, elle recommande que les « Etats, dans le cadre sous régional » négocient avec « les plateformes digitales comme Google pour réguler ».
Mme Senghore ajoute qu’il faut aussi promouvoir l’éducation des citoyens aux médias. Samba Dialimpa estime qu’à côté de tout cela il faut assurer et faciliter l’accès à l’information dans nos langues nationales, car du point de vue conceptuel, il existe encore des personnes qui ne savent même pas c’est quoi une « information ».
(Source : Ouestaf, 28 mars 2024)