“La statistique est la première des sciences inexactes,” disait Jules de Goncourt. Cependant, en ce qui concerne la transformation digitale en Afrique, les prévisions statistiques ont souvent sous-estimé l’ampleur de l’augmentation du nombre d’utilisateurs et la multiplication des usages liés au Digital.
La Croissance de la Pénétration d’Internet en Afrique
D’après l’Internet Society et la Banque mondiale, la croissance de la pénétration d’Internet en Afrique subsaharienne est la plus rapide au monde. Le taux de pénétration est passé de moins de 1 % en 2000 à 43 % aujourd’hui. Cette ascension fulgurante de l’économie africaine basée sur Internet pourrait contribuer jusqu’à 712 milliards de dollars à l’économie africaine d’ici 2050, selon la firme de conseil Accenture.
L’Impact sur la Gouvernance
Face à cet engouement massif et confrontés à un principe de réalité, les gouvernements, jusqu’alors attentistes voire réfractaires, ont dû faire preuve de pragmatisme et emboîter le pas de la transformation digitale. En adoptant le digital pour transformer radicalement la manière dont les services gouvernementaux sont délivrés, ils ont compris qu’ils pouvaient avoir un impact direct sur l’efficacité administrative et la transparence. Les différentes avancées technologiques ont non seulement permis une meilleure accessibilité et qualité des services publics, mais ont aussi ouvert la voie à des initiatives de gouvernance électronique renforçant la participation citoyenne et la lutte contre la corruption. En quelques années, le digital est devenu un outil clé pour améliorer la transparence et l’efficacité des services publics. Son impact sur la gouvernance est désormais incontestable. Une étude de la Banque mondiale a montré que l’adoption de technologies numériques dans les services publics réduit les coûts de transaction, améliore l’efficacité administrative et augmente la transparence, essentiels dans la lutte contre la corruption. Par exemple, l’introduction de systèmes de gestion électronique dans les administrations fiscales et douanières a permis d’augmenter la collecte des recettes et de réduire les possibilités de corruption dans la plupart des pays observés.
L’Indice de Développement de l’E-Gouvernement (IDEG)
D’après le rapport 2020 de l’ONU sur l’E-Government Survey, l’indice de développement de l’e-gouvernement en Afrique montre une amélioration continue, reflétant la dynamique actuelle sur le continent. Au Bénin, la collaboration avec le gouvernement estonien a mené à la création d’un portail gouvernemental robuste, donnant aux citoyens accès à plus de 200 services publics en ligne. Ce projet a non seulement amélioré l’efficacité et la transparence des services publics, mais a aussi établi une norme pour la réutilisation et le partage des données à travers les institutions gouvernementales. Depuis lors, les recettes publiques ont presque doublé et le Bénin figure parmi les dix pays les plus transparents en matière fiscale à l’échelle mondiale. Plusieurs autres pays africains ont lancé des initiatives similaires pour intégrer le numérique dans leur gouvernance. Le Ghana, avec sa plateforme Ghana.Gov, modernise la collecte des revenus publics et l’accès des populations, améliorant ainsi l’inclusion financière numérique. Au Kenya, les Huduma Centres facilitent l’accès à plus de 5 000 services gouvernementaux à travers un portail unique, ce qui améliore l’efficacité et l’engagement citoyen. Au Rwanda, la plateforme Irembo Gov centralise plus de 100 services publics, allant de la demande de permis de conduire à l’enregistrement des naissances et des décès ; elle contribue ainsi à la réduction de la corruption.
Défis et opportunités
Malgré la croissance impressionnante et les perspectives prometteuses, les défis restent nombreux :
Inclusion et Accès : Plus de 840 millions de personnes en Afrique sont privées d’un accès fiable et abordable à Internet. Les disparités régionales sont significatives, avec une pénétration de 23 % en Afrique centrale, tandis que l’Afrique de l’Ouest dépasse les 48 %, selon Data Portal. Pour démocratiser l’accès, il est crucial d’investir dans l’infrastructure, la connectivité et l’éducation numérique. La collaboration entre gouvernements, entreprises et organisations internationales est essentielle pour réduire ces disparités.
Changement organisationnel : La transformation digitale ne se limite pas à la technologie. Elle nécessite également un changement organisationnel. De nombreux gouvernements tentent d’impulser leur transformation digitale sans ajuster leurs principes organisationnels. Comment mettre en place des projets agiles, gérer le changement et définir de nouveaux usages centrés sur le citoyen tout en respectant les cadres administratifs traditionnels ? La réforme de la gouvernance du numérique est nécessaire pour une utilisation efficace des outils numériques.
Culture et Leadership : Le numérique est souvent perçu comme un moyen d’atteindre des objectifs spécifiques plutôt que comme un catalyseur de changement. Les dirigeants doivent montrer l’exemple en intégrant le numérique dans leur vision stratégique. L’éducation et la sensibilisation sont essentielles pour changer les mentalités.
Sécurité et confiance : La cybersécurité et la protection des données sont cruciales. Les utilisateurs doivent avoir confiance dans les services numériques pour les adopter pleinement. Les gouvernements doivent mettre en place des politiques et des réglementations solides pour garantir la sécurité des transactions et la confidentialité des données.
Innovation et Création de Valeur : Le digital, par nature immatériel, peine à trouver sa juste place dans les instances décisionnelles. On lui accorde souvent un intérêt limité, opportuniste pour atteindre des objectifs spécifiques, mais on néglige son immense pouvoir disrupteur et sa capacité de création de valeur. Les startups africaines ont déjà montré leur potentiel, mais il est essentiel de créer un écosystème favorable à l’innovation.
Encourager l’entrepreneuriat, soutenir les incubateurs et favoriser la collaboration entre les secteurs public et privé sont des moyens d’accélérer la création de valeur.
Quelle entreprise digitale africaine pour rivaliser les géants de Brick & Mortars tels que Dangote ? Quel modèle de démocratie pour une société qui adopterait le vote électronique ? Quel avenir pour une société qui imposerait l’usage de l’intelligence artificielle dans toutes ses écoles et toutes ses administrations ? Ces idées n’ont pas encore trouvé leur chemin mais tout comme les statistiques auxquelles personne ne croyait, elles finiront par s’imposer d’elles-mêmes.
Chez ST Digital, nous sommes convaincus que la transformation digitale peut catalyser un changement substantiel dans la gouvernance en Afrique. Notre mission est d’accompagner les administrations publiques et les entreprises dans leur transition numérique, en offrant des solutions adaptées aux réalités africaines. L’avenir de la gouvernance en Afrique dépendra de notre capacité à intégrer le numérique dans les processus démocratiques et administratifs. La transformation digitale n’est pas seulement une question de technologie ; c’est une réforme culturelle et structurelle qui nécessite un engagement à tous les niveaux de la société. Cela requiert non seulement des investissements dans l’infrastructure et l’éducation numérique, mais aussi un engagement fort des gouvernements pour une transformation sincère et inclusive. Ceci est un sujet clé pour le continent. D’ailleurs, lors de l’Africa CEO Forum 2024, ce rendez-vous incontournable du secteur privé africain, qui a lieu à Kigali et auquel nous participons, ce sujet sera largement traité lors de panels et de tables rondes.
En tant que partie prenante de ce changement, ST Digital s’engage à être à l’avant-garde de l’innovation, en soutenant les initiatives qui renforcent la transparence, l’efficacité et la participation citoyenne. Nous envisageons une Afrique où chaque citoyen peut accéder facilement aux services publics en ligne, participer activement à la vie démocratique et bénéficier des fruits du développement économique. La transformation digitale en Afrique est une réalité en marche. À nous de saisir cette opportunité pour bâtir des sociétés plus ouvertes, inclusives et prospères.
Anthony Same, Directeur Général Groupe de ST Digital
(Source : Agence Ecofin, 14 mai 2024)