Des coups de marteau saccadés. Le bruit strident de barres de fer sous le chalumeau d’un ouvrier, une odeur de ciment frais, au pied de l’immeuble de trois étages qui sort de terre dans le quartier Bacongo de la capitale congolaise, un écriteau guide le visiteur : « Projet de construction du datacenter national à Brazzaville ».
Financé par la Banque africaine de développement, ce bâtiment à l’architecture futuriste sera bientôt le centre névralgique de stockage et de traitement de toutes les données numériques de la République du Congo. Il hébergera aussi les différentes applications développées ou acquises par ce pays d’Afrique centrale, logé au cœur du bassin du Congo, le deuxième poumon vert au monde.
« Bientôt, le Congo sera le seul pays d’Afrique centrale à disposer de son propre datacenter (centre de stockage de données numériques). Les vidéoconférences qu’on organise ici ne transiteront, à terme, plus par un serveur basé en Europe, en Amérique ou ailleurs avant de nous revenir. Tout se passera ici », se félicite Michel Ngakala, coordonnateur du Projet de la dorsale à fibre optique d’Afrique centrale (CAB), composante du Congo.
Ce projet d’un financement total de 66,55 millions d’euros (52,47 millions d’euros de la Banque africaine de développement et 14,50 millions d’euros du gouvernement du Congo), a permis la pose d’un linéaire de plus de 600 kilomètres de fibre optique sur les axes d’interconnexion avec le Cameroun (341 km) et la République centrafricaine (281 km) via le fleuve Congo – une prouesse d’après l’économiste pays résident de la Banque au Congo surtout en ce qui concerne le volet sous-fluvial pour l’interconnexion Congo-République centrafricaine à travers le fleuve Sangha – et la mise en place d’un centre national de données (datacenter). Quelques 13,8 millions d’euros du montant du projet sont consacrés à la construction et à l’opérationnalisation du datacenter.
« Dans le cadre du Projet de la dorsale à fibre optique d’Afrique centrale, composante Congo, nous avons reçu des fonds de la Banque africaine de développement pour construire un datacenter. Et là nous construisons un bâtiment de trois niveaux extensibles avec un sous-sol », explique le coordonnateur, qui nous fait visiter les différents compartiments du futur datacenter du Congo.
Sur les trois niveaux du bâtiment en construction, il est prévu des salles serveurs, de contrôle et supervision, de réunion et de conférence ainsi que les emplacements pour les équipements d’énergie et de climatisation nécessaires au bon fonctionnement du datacenter, explique le coordonnateur qui indique que le datacenter sera livré d’ici décembre 2024.
« Toutes les données qui vont être produites au Congo doivent être stockées quelque part. Actuellement, ces données sont stockées à l’étranger si bien qu’on a des noms de domaines de chez nous qui se terminent souvent par « .fr » ou « .com », alors que le nom de domaine du Congo est « .cg ». Dorénavant, nous pourrons héberger toutes les données publiques au niveau du datacenter, ainsi que celles des opérateurs de télécommunications, des banques, des compagnies d’assurance et des autres sociétés privées qui veulent les faire héberger ici, y compris les sauvegardes des sites de stockage primaires éventuels qu’ils utilisent », assure M. Ngakala.
« Ce projet va consacrer la souveraineté numérique du pays parce qu’on ne peut pas se dire souverain alors que nos données, même les plus sensibles, sont stockées hors de notre territoire, dans des pays étrangers », avec des risques réels de mésusage, de violation ou encore de fuite massive, poursuit-il.
« La thématique de la localisation des données prend de l’épaisseur ces dernières années à travers le continent surtout en ce qui concerne les données sensibles. La disponibilité des données produites localement ouvrira la voie à un cercle vertueux de création de valeur locale qui sera bénéfique à l’ensemble de l’écosystème digital (public, privé, etc.) de nos pays. Ce sont les prémices d’une économie circulaire digitale qui contribuera à un developpement bas-carbone de notre continent », assure Samatar Omar Elmi, chargé en chef des technologies de l’information et de la communication à la Banque africaine de développement et responsable du projet à la Banque.
En plus de renforcer la souveraineté numérique, ce projet va « contribuer à l’amélioration de la compétitivité de l’économie du Congo en termes de coût de facteur car, la communication est un facteur important dans le développement de l’économie », souligne Sié Antoine-Marie Tioyé, économiste pays résident de la Banque au Congo.
Outre sa forte contribution au développement de l’économie numérique du Congo, Michel Ngakala y voit un moyen pour son pays de renforcer sa sécurité numérique en étant maître de ses données. « Il est facile de pirater les données quand elles sont hors de votre territoire. Avec ce datacenter, on maîtrisera plus aisément le traitement et l’accès des données dans notre pays », promet-il.
Dans la même veine, M. Ngakala donne l’exemple du ministère des Postes qui est en train de mettre en œuvre un projet d’identification numérique de toute la population congolaise, avec un nombre astronomique de données qui seront générées et pourront être stockées au niveau national et non plus à l’étranger. D’autres partenaires du Congo se positionnent de manière complémentaire sur d’autres segments pour amplifier l’impact de ce projet.
À la fin des travaux, le datacenter sera géré par un délégataire (public ou privé) qui prendra en charge la gestion, la commercialisation et la maintenance de l’infrastructure.
Partenaire de premier plan du Congo, le Groupe de la Banque africaine de développement est la première institution de financement des infrastructures dans le pays.
Outre l’extension de la dorsale nationale optique et du datacenter, la Banque a financé plusieurs infrastructures routières au Congo. Elle a notamment financé des corridors et des projets intégrateurs comme la route Ketta-Djoum sur le corridor Yaoundé-Brazzaville portant sur l’aménagement d’une route bitumée d’environ 505 kilomètres entre Ketta, au Congo, et Djoum, au Cameroun (189 km au Cameroun, 316 km au Congo) et la première section de la route Ndende-Dolisie pour relier le Congo au Gabon. La Banque finance aussi les études pour la réalisation des voies d’accès du pont route-rail qui doit relier les deux Congo séparés par le fleuve éponyme. Elle assure le leadership dans la mobilisation des ressources.
Au 1er avril 2024, le portefeuille actif du Groupe de la Banque au Congo comportait onze projets, tous dans le secteur public, pour un engagement total de 411,62 millions de dollars américains. La répartition sectorielle du portefeuille se présente comme suit : en premier, transport (32,7%), gouvernance (29,8 %), agriculture (21,3 %), télécommunications (13,7%), social (2,4%), eau et assainissement (0,1%).
Banque africaine de développement (BAD)
(Source : Agence Ecofin, 17 mai 2024)