Pour contester les coupures d’Internet par les autorités sénégalaises, un recours devant la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a été déposé par Media Defence et le Rule of Law Impact Lab de la Stanford Law School.
L’Internet mobile a été encore suspendu, ce mardi, au Sénégal. Le ministre de la Communication, des Télécommunications et du Numérique a motivé sa décision, en invoquant la diffusion sur les réseaux sociaux de messages ‘’haineux et subversifs”. Ces messages ont, dit-il, provoqué des manifestations violentes, avec ‘’des décès” et des dégâts matériels importants.
Ce n’est pas la première fois que Moussa Bocar Thiam prend une telle décision lourde de conséquences pour l’économie et les affaires de milliers de Sénégalais.
Pour mettre un terme à ces coupures intempestives d’Internet par les autorités sénégalaises en juin, juillet et août 2023, un recours devant la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cour de la CEDEAO) a été déposé par Media Defence et le Rule of Law Impact Lab de la Stanford Law School. L’affaire, explique-t-on, est introduite au nom des AfricTivistes, une organisation panafricaine de protection de la démocratie et des Droits de l’homme ainsi que les journalistes sénégalais Moussa Ngom et Ayoba Faye.
‘’AfricTivistes s’est toujours fermement opposée aux coupures d’Internet, parce qu’elles portent atteinte non seulement aux droits fondamentaux des citoyens, mais constituent également une menace directe pour la démocratie et les droits humains”, soutient le président de l’association. ‘’Le recours déposé devant la Cour de justice de la CEDEAO conteste les actions du gouvernement sénégalais, mettant en avant l’impact préjudiciable sur la liberté d’expression, la liberté des médias et le droit au travail. En période d’agitation politique, l’accès à l’information est crucial et les coupures d’Internet ne font qu’approfondir les ténèbres, entravant la circulation des informations vitales et mettant en danger la sécurité des citoyens. Nous croyons en une Afrique ouverte et connectée où le droit de s’exprimer, de partager et d’accéder à l’information est préservé dans l’intérêt général de la société”, déclare Cheikh Fall.
En effet, selon les Nations Unies, une coupure d’Internet, quelle qu’en soit la justification, constitue une violation de l’article 19, paragraphe 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le droit d’accéder à Internet est désormais considéré comme un droit fondamental pour la liberté d’expression et l’accès à l’information.
‘’Les restrictions imposées par le Sénégal sur Internet ont violé les droits des requérants à la liberté d’expression ainsi que le droit des journalistes à travailler, tout en étouffant de manière significative la liberté des médias et la liberté d’expression au Sénégal”, selon les plaignants. Qui notent que, du 1er juin au 8 juin 2023, en réponse aux nombreuses manifestations contre la condamnation d’un leader de l’opposition sénégalaise Ousmane Sonko, le gouvernement sénégalais a mis en œuvre un blocage complet des principales plateformes de médias sociaux.
De plus, du 4 au 7 juin, les services d’Internet mobile ont été entièrement suspendus dans plusieurs régions, laissant de nombreuses personnes, y compris les requérants, dans l’impossibilité de se connecter à Internet. En outre, du 31 juillet au 7 août, de 8h à 2h du matin, en réponse à de nouvelles manifestations contre la seconde arrestation de Sonko, les autorités sénégalaises ont de nouveau restreint l’accès à Internet.
La requête a été déposée, le 31 janvier 2024, soit peu de temps avant l’annonce par le président Macky Sall d’un report de l’élection présidentielle prévue initialement le 25 février. Le 4 février, rappellent les plaignants, le ministre sénégalais de la Communication a annoncé de nouvelles mesures de restriction de l’accès à l’Internet mobile pour des raisons de sécurité, alors que 97 % des internautes utilisent ce mode de connexion, selon un rapport de l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes.
Les plaignants expliquent qu’au Sénégal, nombreux sont ceux qui s’appuient sur les réseaux sociaux pour s’informer. Au cours de ces événements politiques cruciaux, disent-ils, ceux qui dépendent habituellement d’Internet pour obtenir des informations sont laissés dans l’ignorance. De plus, ‘’lors de la répression violente de certaines manifestations”, le blocage d’Internet a empêché le partage d’informations importantes sur les zones sûres et sur la manière de contacter les services d’urgence.
Sur le plan économique, il est indéniable qu’une coupure d’Internet entrave les activités commerciales et financières du pays. La plupart des transactions se font par le biais du digital, notamment grâce aux services de Mobile Money. Elle a aussi des conséquences sur le secteur informel. Bon nombre de petits commerçants et entrepreneurs utilisent ces services pour effectuer leurs transactions.
Babacar Sy Sèye