Les points d’échange Internet (IXP) permettent aux Africains de se connecter entre eux sans passer par les lignes internationales. Ils sont indispensables pour offrir un Internet à haut débit de qualité et à petit prix aux populations africaines. Pourtant l’objectif qui était fixé pour 2020, de réduire à 20% la part du trafic africain qui passe par l’international, est loin d’être atteint. Un rapport examine ce qui freine la matérialisation effective des IXP.
Plusieurs contraintes infrastructurelles, financières et réglementaires empêchent l’Afrique de récolter les fruits de ses points d’échange Internet (IXP) qui ont été mis en place pour assurer une connectivité data accessible, abordable et de qualité en créant des itinéraires plus courts pour le trafic Internet et en brisant la dépendance des fournisseurs africains aux liaisons Internet internationales, selon un rapport de Muriel Edjo, publié le 23 janvier dans Ecofin Pro, la plateforme de l’agence Ecofin dédiée aux professionnels.
Intitulé « L’Afrique peine encore à rendre Internet accessible, malgré ses 53 points d’échange localisés dans 36 pays », le rapport précise que les IXP sont aujourd’hui l’un des atouts majeurs indispensables au succès des ambitions africaines d’offrir un Internet à haut débit de qualité et à petit prix aux populations qui désirent profiter des dividendes de l’économie numérique. Ces infrastructures techniques physiques où les réseaux télécoms se réunissent pour se connecter et échanger du trafic Internet permettent de créer des itinéraires plus courts, et plus directs, pour ce trafic.
Leur déploiement dans un pays garantit un échange du trafic Internet au niveau local au lieu de passer par des liaisons internationales coûteuses. Résultat : le coût d’achat des capacités des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) est largement réduit, ce qui diminue les coûts pour les consommateurs tout en garantissant une vitesse de trafic beaucoup plus importante.
De plus, les IXP attirent un large éventail d’opérateurs locaux et internationaux, car ils leur offrent un moyen plus rentable d’accéder aux utilisateurs Internet locaux potentiels. Les types de réseaux qui se connectent au trafic d’échange sont entre autres les fournisseurs de services Internet (FSI), les opérateurs mobiles et les réseaux de diffusion de contenu (CDN) tels que Google, Baidu, Akamai ou Facebook.
Trois pays seulement se détachent du lot
Le rapport indique également que le nombre des IXP s’est multiplié sur le continent dès 2010. A travers l’Internet Society, la communauté technique d’Internet en Afrique a adopté cette année-là une vision ambitieuse : rendre 80% de l’intégralité du trafic Internet accessible localement à l’horizon 2020, avec seulement 20% passant par les lignes internationales.
En 2012, la Commission de l’Union africaine a jugé l’idée pertinente et lancé le projet AXIS (African Internet Exchange System Project) avec le soutien financier du Fonds fiduciaire UE-Afrique pour les infrastructures et du gouvernement du Luxembourg.
Selon l’Association africaine des IXP (Af-IX), il existe actuellement 53 IXP actifs situés dans 47 villes réparties sur 36 pays du continent. Cela veut dire qu’entre 2012 et 2023, l’Afrique s’est enrichie de 41 IXP actifs.
Toutefois, trois pays seulement ont réussi à se démarquer jusqu’à présent. Il s’agit de l’Afrique du Sud qui a atteint l’objectif 80/20, du Kenya et du Nigeria qui s’en sont rapprochés grandement en échangeant déjà 70% de leur trafic au niveau local.
Le succès de ces trois pays, qui détiennent aujourd’hui chacun plus de trois IXP, s’explique non seulement par leur ancienneté dans l’adoption du point d’échange Internet comme une solution à un connectivité plus rapide et moins coûteuse, bien avant le projet AXIS, mais aussi par la création d’un environnement réglementaire et technique favorable qui a suscité l’intérêt des réseaux internationaux de diffusion de contenus.
Outre les investissements dans le renforcement des infrastructures, les acteurs des IXP ont abandonné les exigences financières obligatoires en matière de peering (échange de trafic Internet) entre les entreprises membres afin d’encourager les nouveaux membres à s’inscrire et à conclure des accords de peering sélectifs. En conséquence, tous les grands fournisseurs internationaux de contenus (Google, Facebook, Akamai, etc.) ont ajouté au moins un cache en périphérie (système de mémoire intermédiaire numérique accessible à partir d’emplacements distants dans le monde) dans les trois pays. Plusieurs d’entre eux ont également ajouté un point de présence (PoP) favorisant l’hébergement de contenu local. Ainsi, des économies de coûts considérables ont été obtenues.
Renforcer la concurrence sur les marchés télécoms
Dans les 33 autres pays africains qui abritent un IXP, le trafic Internet échangé au niveau local se limite encore à environ 30%.
De nombreux facteurs expliquent ce retard. Il s’agit en premier lieu du développement insuffisant des infrastructures de télécommunications à haut débit. Bien que les opérateurs de téléphonie mobile aient réussi à déployer leur réseau en investissant dans des tours de télécommunication, l’empreinte de la fibre optique au niveau national reste faible. Elle est d’ailleurs encore largement localisée dans certaines zones des grandes villes, et l’Internet fixe est presque inexistant.
A ce facteur lié aux infrastructures s’ajoutent des contraintes financières et réglementaires.
La mise en place et l’entretien de l’infrastructure nécessaire aux IXP requiert des investissements conséquents.
Des coûts d’interconnexion élevés entre les réseaux peuvent également décourager les opérateurs de participer aux IXP.
En ce qui concerne la régulation du marché des télécommunications, la collaboration entre les acteurs est parfois perçue négativement, comme un signe de collusion. De plus, sur des marchés très concurrentiels, chaque entreprise tend à se concentrer sur la maximisation de ses revenus et l’amortissement rapide de ses investissements.
Nouvelle décennie
Pour prévenir une potentielle nouvelle décennie d’inefficacité des points d’échange Internet dans la plupart des pays du continent, Internet Society recommande de réformer les marchés télécoms pour favoriser l’émergence de réseaux d’accès concurrents, y compris les FAI fixes et les opérateurs mobiles qui fournissent un accès Internet, afin de stimuler le développement des IXP, d’étendre les infrastructures nationales au-delà du principal point d’atterrissage des câbles sous-marins et du principal centre démographique.
Un accent particulier doit être aussi mis sur l’investissement dans des centres de données neutres pour accueillir en toute transparence tous les acteurs qui désirent se connecter à un IXP dans un pays, le renforcement de la connectivité internationale et l’élaboration de politiques favorables à une plus grande collaboration entre les acteurs du secteur.
Les pays qui n’ont pas encore d’IXP devraient, quant à eux, accélérer la mise en place de ce genre d’infrastructures, compte tenu des enjeux de développement actuels et futurs, liés à l’accès au haut débit.
(Source : Agence Ecofin, 29 janvier 2024)