L’usage des faux papiers au Sénégal représente un enjeu majeur pour l’intégrité administrative et la sécurité des citoyens. Ce phénomène, récemment mis en lumière par le démantèlement d’un réseau de faussaires, révèle l’ampleur d’un trafic qui compromet l’authenticité des documents officiels. Dans ce contexte, le processus de dématérialisation en cours apparaît comme une solution prometteuse pour moderniser et sécuriser les systèmes d’enregistrement. Mais il devra faire face à des défis logistiques et administratifs pour garantir son efficacité.
Il y a plus de six mois, la Sûreté urbaine (SU) a mis fin aux activités d’un réseau de faussaires dirigé par E. M. Wellé, qui avait imité des cachets de plusieurs structures de l’État. Ce groupe démantelé par la SU a été découvert après l’arrestation d’A. Diallo, M. L. Keita, et Al. Sidibé, chef de quartier à Grand-Yoff, qui étaient en possession de faux documents au centre de dépôt des passeports de Guédiawaye. Ces interpellations ont permis aux enquêteurs d’identifier et d’arrêter E. M. Wellé, considéré comme le cerveau de l’opération, ainsi que ses complices. Les perquisitions menées à leurs domiciles dans la banlieue ont conduit à la saisie de près de 600 documents falsifiés, notamment des copies littérales, des extraits de casier judiciaire, des certificats de mariage, des diplômes et des certificats de nationalité sénégalaise. Parmi ces documents, on trouve également de faux passeports et cartes nationales d’identité.
Les premiers éléments de l’enquête avaient révélé que les faussaires disposaient de cachets appartenant à 58 centres d’état civil ainsi qu’à des institutions telles que le ministère des Affaires étrangères, le consulat général du Sénégal à Milan et plusieurs commissariats de police.
Ces découvertes soulignent l’ampleur du problème et la facilité avec laquelle ils avaient pu accéder à des cachets officiels, créant ainsi une situation où de nombreux citoyens se retrouvaient en possession de documents frauduleux sans le savoir.
Les conséquences sur les citoyens et les responsabilités
Ces pratiques de falsification de documents ont des conséquences graves pour les citoyens qui se retrouvent parfois dans l’incapacité d’obtenir des papiers légaux pour circuler, voyager, étudier ou même postuler à certains emplois.
Pour Khardiata Diallo, officier d’état civil à la commune de Keur Massar Sud, le problème ne réside pas dans les services de l’état civil, mais dans l’action des faussaires qui parviennent à obtenir les cachets officiels de ces services. Elle souligne que la plupart de ces personnes ont souvent travaillé au sein de l’état civil, ce qui leur a permis de connaître les rouages internes. Ces individus utilisent ensuite cette connaissance pour commettre des fraudes complexes, généralement impossibles à réaliser sans une expérience directe au sein de l’administration. Diallo ajoute que ces gens opèrent souvent en réseau, constituant ainsi une véritable association de malfaiteurs.
Les récurrents cas de fraude concernant les cartes nationales d’identité sont également préoccupants.
Selon toujours, Khardiatou Diallo, la Direction de l’Automatisation des fichiers (Daf) porte une part de responsabilité dans cette situation, en raison de l’absence de vérifications rigoureuses avant la délivrance des cartes nationales d’identité nationale. “C’est souvent des étrangers, principalement des Guinéens, qui obtiennent ces faux papiers, car il n’y a pas de vérification à la base”, affirme-t-elle, ajoutant que les autorités devraient durcir les lois contre la falsification de documents pour dissuader de tels actes.
La question du certificat de nationalité, devenu un document clé pour l’obtention de la carte nationale d’identité, préoccupe aussi. Certains citoyens, notamment ceux portant des patronymes à consonance étrangère, se sentent discriminés et stigmatisés lorsqu’ils sont obligés de prouver leur nationalité sénégalaise.
Toutefois, selon un juge interrogé par PressAfrik, l’exigence d’un certificat de nationalité pour la délivrance d’une carte nationale d’identité (CNI) est une mesure mise en place pour prévenir les fraudes sur la nationalité. Il rejette également toute accusation de discrimination dans l’attribution de ce document. Pour lui, l’essentiel est de vérifier si la personne qui sollicite le certificat de nationalité remplit les critères définis par la loi. Celle-ci ne fait aucune distinction entre les patronymes à consonance sénégalaise et ceux qui peuvent paraître étrangers. Le critère déterminant est la filiation.
Khardiata Diallo, forte de ses vingt années d’expérience dans le domaine, abonde dans le même sens en rappelant que le droit du sol ne confère pas la nationalité sénégalaise. C’est le droit du sang qui prévaut. Il est donc nécessaire qu’au moins l’un des parents ait la nationalité sénégalaise pour que l’enfant puisse en bénéficier. Elle souligne également que, bien que de nombreux Guinéens aient réussi à obtenir une carte nationale d’identité sénégalaise, cela ne leur garantit pas pour autant la nationalité. Pour certains, il est requis de résider pendant dix ans sur le territoire sénégalais et de passer par une enquête de moralité, avant de pouvoir prétendre à la nationalité sénégalaise.
Le processus de dématérialisation de l’état civil
Face à ces défis, l’État sénégalais a entrepris des réformes pour moderniser et sécuriser l’état civil à travers un processus de dématérialisation. Le Programme d’appui au renforcement du système d’informatisation de l’état civil et la consolidation d’un fichier national d’identité biométrique vise à moderniser un secteur stratégique resté longtemps archaïque. Ce programme, piloté par le ministère des Collectivités territoriales, du Développement et de l’Aménagement du territoire, à travers la direction de l’état civil, a pour objectif de contribuer au respect des droits des citoyens en améliorant le système d’informatisation de l’état civil et en consolidant un fichier national d’identité biométrique sécurisé.
L’aboutissement de ce projet devrait permettre une modernisation complète de l’état civil, avec un appui au pilotage stratégique et une amélioration de l’offre et de la demande de services d’état civil.
Il est également prévu de créer un fichier national d’identité biométrique interconnecté avec le système d’état civil informatisé, pour sécuriser l’identité des citoyens et faciliter l’exploitation des données par d’autres administrations.
Ce processus, qui devrait être effectif en septembre 2024, connaît toutefois des retards en raison de lenteurs administratives et logistiques.
Selon Khardiatou Diallo, il est probable que la mise en œuvre complète ne soit opérationnelle qu’en 2025, certaines régions n’ayant pas encore reçu le matériel nécessaire pour commencer la digitalisation.
Vers une solution durable
La dématérialisation de l’état civil et la création d’un fichier biométrique représentent une étape cruciale pour lutter contre la falsification de documents au Sénégal. En modernisant les systèmes d’enregistrement et en renforçant les contrôles, l’État espère réduire les fraudes et offrir des services plus fiables et sécurisés aux citoyens. Cependant, pour que ces réformes soient efficaces, il est essentiel que les autorités s’engagent à renforcer les lois contre l’usage de faux papiers et à sensibiliser la population aux risques associés à l’obtention de documents frauduleux.
Amadou Camara Guèye
(Sourcev : Enquête, 6 ao^put 2024)