Les autorités de régulation dans les services publics de réseaux ont été élaborées sur le modèle des autorités administratives indépendantes. A l’instar de ces dernières, elles se caractérisent par un statut d’indépendance par rapport au pouvoir politique, qui est garanti par des règles de composition, de nomination ainsi que par l’attribution de moyens spécifiques.
Néanmoins, on remarquera s’agissant de l’indépendance du régulateur dans le secteur des télécommunications et des TIC qu’aucune conception universellement partagée ne se dégage de l’observation des diférentes situations nationales. Que ce soit au Sénégal ou le régulateur est passé du statut d’établissement public à caractère spécial (Loi 2001-15 portant code des télécommunications) à autorité administrative indépendante ( Loi 2011-01), ou en Europe, les autorités de régulation s’apparentent le plus souvent à la notion juridique des autorités administratives.
Les AAI sont en effet placées en dehors de la hiérarchie administrative, elles reçoivent ni ordre, ni instructions, et elles exercent leurs attributions qui leur sont confiées en toute indépendance et les décisions qu’elles prennent dans le cadre de leur compétence sont dotées de force exécutoire. Mais elles n’ont pas de personnalité juridique distincte de l’Etat. Ces principes sont repris généralement dans les statuts des autorités de régulation des télécommunications et des TIC, même si ces dernières ne sont pas des innovations juridiques, mais la répartition des pouvoirs entre ces institutions et le gouvernement s’inscrit dans la tradition républicaine. Déjà en France, le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 23 Juillet 1996 portant sur la loi de réglementation des télécommunications avait dénommé l’ART ( ARCEP) “autorité administrative”. Cette même autorité se qualifie “d’autorité administrative indépendante”, c’est-à-dire un organe spécialisé au nom de l’Etat.
L’autorité de régulation doit, en effet être détachée de toute dépendance hiérarchique ou de tutelle avec le gouvernement. Ainsi comprise, elle répond à des objectifs de neutralité dans la mesure ou l’indépendance est un gage de neutralité et d’impartialité à l’égard de tous les acteurs du marché, de continuité (son indépendance et la durée de mandat de ses membres lui permettent d’inscrire son action dans la continuité) et d’éfficacité puisqu’une autorité indépendante peut être dotée de compétences qui ne se rattachent pas aux formes habituelles d’intervention du pouvoir exécutif. L’émargence de la fonction de régulation bouleverse donc l’organisation de l’Etat qui cherche à conserver un lien par lequel il légitime la régulation, celle-ci agit à son nom. Elle n’est pas autonome par nature mais constitue une modalité d’organisation de l’exécutif. Ce type d’instance constitue une nouvelle catégorie d’AAI.
Par contre, si l’on observe le modèle anglo-saxon de l’autorité administrative, celle-ci se fonde sur le “caractère ouvert” de l’espace administratif. Au Royaume-Uni, les agencies n’ont pas de statut légal, et, en raison du pragmatisme anglo-saxon, s’accommodent très bien d’une absence de définition juridique.
L’autorité de régulation doit disposer d’une légitimité qu’elle retire des garanties statutaires, mais surtout de sa capacité d’expertise et de sa crédibilité. Il lui est par ailleurs nécessaire de créer des mécanismes de régulation transparents et ouverts. Ses missions doivent être clairement définies pour éviter des conflits d’objectifs et doivent être articulés le mieux possible avec les missions de l’Etat et des autorités de la concurrence. En effet, l’autonomie du régulateur, c’est-à-dire sa capacité à influencer le fonctionnement du secteur qu’il a en charge, sa légitimité, peuvent être mesurées à l’aune de trois critères : les mandats des personnes, les moyens humains et les moyans financiers dont il dispose.
A notre sens, la source d’indépendance des autorités de régulation vient du critère de désignation des membres et c’est en réalité le mode de désignation des membres de l’autorité qui appelle plus de commentaires au regard de l’indépendance.
En tout état de cause, les autorités de régulation doivent être composées d’un nombre suffisant de membres pour permettre la contradiction et le débat. La diversité dans les modes de nomination accompagnée d’un caractère partiellement politique est un des points communs dans la composition des autorités de régulation.
En définitive, il apparaît évident, nonobstant l’idée d’indépendance statutaire, que de nombreuses règles limitent en pratique l’autonomie des régulateurs. Ainsi, l’appréciation difficile du degré effectif d’indépendance laissé au régulateur donne à penser que cette notion, telle qu’elle est habituellement utilisée, n’est sans doute pas, à elle seule du moins, un critère pertinent d’eeficacité du régulateur.
L’analyse de l’indépendance ne se limite pas seulement à des garanties organiques. Pouvoir et indépendance sont également liés et l’on sait que l’affirmation de l’indépendance va de pair avec l’extension des pouvoirs. En réalité, c’est l’étude des pouvoirs conférés au régulateur renforcés par la mise en oeuvre de procédures et méthodes transparentes qui permet d’apprécier pleinement l’indépendance réelle du régulateur.
Dr. Isaac I. Sissokho
(Source : LinkedIn, 24 mai 2024)