Media Defence et le Rule of Law Impact Lab de la Stanford Law School ont déposé un recours devant la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cour de la CEDEAO) pour contester la coupure d’Internet par les autorités sénégalaises en juin, juillet et août 2023. L’affaire est introduite au nom des AfricTivistes, une organisation panafricaine sénégalaise de protection de la démocratie et des droits de l’homme, ainsi que les journalistes sénégalais, Moussa Ngom et Ayoba Faye. Les plaignants et leurs représentants considèrent que les restrictions imposées par le Sénégal sur Internet ont violé les droits des requérants à la liberté d’expression ainsi que le droit des journalistes à travailler, tout en étouffant de manière significative la liberté des médias et la liberté d’expression au Sénégal.
Du 1er juin au 8 juin 2023, en réponse aux nombreuses manifestations contre la condamnation d’un leader de l’opposition sénégalaise Ousmane Sonko, le gouvernement sénégalais a mis en œuvre un blocage complet des principales plateformes de réseaux sociaux. Du 4 au 7 juin, les services d’internet mobile ont été entièrement suspendus dans plusieurs régions, laissant de nombreuses personnes, y compris les requérants, dans l’impossibilité de se connecter à Internet. En réponse à de nouvelles manifestations contre la seconde arrestation de Sonko, les autorités sénégalaises ont de nouveau restreint l’accès à Internet du 31 juillet au 7 août, de 8h à 2h du matin. Bien que les données mobiles aient finalement été rétablies le 7 août, TikTok, dont l’accès avait été restreint le 2 août, n’a été rétabli que le 7 février 2024.
La requête a été déposée le 31 janvier 2024, soit peu de temps avant l’annonce par le Président Macky Sall d’un report de l’élection présidentielle prévue initialement le 25 février. Le 4 février, le ministre sénégalais de la communication a annoncé de nouvelles mesures de restriction de l’accès à l’internet mobile pour des raisons de sécurité, alors que 97% des internautes utilisent ce mode de connexion selon un rapport de l’Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes.
Au Sénégal, nombreux sont ceux qui s’appuient sur les réseaux sociaux pour s’informer. Au cours de ces événements politiques cruciaux, ceux qui dépendent habituellement d’Internet pour obtenir des informations sont laissés dans l’ignorance. De plus, lors de la répression violente de certaines manifestations, le blocage d’Internet a empêché le partage d’informations importantes sur les zones sûres et sur la manière de contacter les services d’urgence.
« AfricTivistes s’est toujours fermement opposée aux coupures d’internet parce qu’elles portent atteinte non seulement aux droits fondamentaux des citoyens, mais constituent également une menace directe pour la démocratie et les droits humains. Le recours déposé devant la Cour de justice de la CEDEAO conteste les actions du gouvernement sénégalais, mettant en avant l’impact préjudiciable sur la liberté d’expression, la liberté des médias et le droit au travail. En période d’agitation politique, l’accès à l’information est crucial, et les coupures d’internet ne font qu’approfondir les ténèbres, entravant la circulation des informations vitales et mettant en danger la sécurité des citoyens. Nous croyons en une Afrique ouverte et connectée, où le droit de s’exprimer, de partager et d’accéder à l’information est préservé dans l’intérêt général de la société », a déclaré Cheikh Fall, président de AfricTivistes.
Cette procédure vise à obtenir des mesures provisoires pour protéger le public sénégalais contre d’autres potentielles coupures lors de la prochaine élection présidentielle prévue initialement le 25 février 2024, mais qui a été repoussée. Les coupures d’Internet avant et pendant la période électorale empêcheraient le partage d’informations sur les candidats et le scrutin avec les électeurs sénégalais. Les coupures menacent également la transparence et l’intégrité des élections en ayant un impact sur le suivi indépendant des résultats des bureaux de vote, étant donné que les observateurs citoyens partagent souvent les résultats du scrutin sur les médias sociaux.
« L’accès à Internet est un aspect fondamental du droit à la liberté d’expression, et le Sénégal a l’obligation de respecter ce droit », a déclaré Amrit Singh, professeur à l’Ecole de droit de Stanford et directrice exécutive du Rule of Law Impact Lab. « Nous demandons à la Cour de justice de la CEDEAO de condamner l’Etat du Sénégal pour avoir violé ce droit et d’ordonner des mesures provisoires afin de s’assurer qu’il n’y aura pas de coupure d’internet avant et pendant la prochaine élection », a-t-elle ajouté.
La Cour de justice de la CEDEAO a déjà jugé que les coupures totales d’Internet sont illégales dans d’autres affaires initiées par Media Defence contre la Guinée et le Togo. Les États ont de plus en plus recours à la coupure d’Internet pour limiter l’opposition et gêner les dissidents. Comme dans le cas présent, ces mesures coïncident souvent avec des événements politiques cruciaux, tels que des élections ou des manifestations. Il est essentiel que des mesures – conformes aux normes internationales en matière de droits humains – soient prises pour empêcher de nouvelles restrictions à la libre circulation de l’information au Sénégal.
Les requérants sont représentés dans cette affaire par Djibril Welle, Padraig Hughes, Amrit Singh et Mojirayo Ogunlana Oluwatoyin.
(Source : Stanford Law School, 13 février 2024)