On ne le dira jamais assez, les restrictions imposées à l’accès aux réseaux sociaux en Guinée, depuis environ deux mois, agace. Et pas que la population. Même au sein du gouvernement, la gêne et l’inconfort sont de plus en plus perceptibles. D’autant que les raisons de ce blackout demeurent plus que floues. Et c’est pourquoi, au gré des mutations de la communication gouvernementale sur le sujet, on en vient désormais à fabriquer des explications qui soient plus ‘’comestibles”. Les précédentes peinant à convaincre grand-monde.
La sortie du porte-parole du gouvernement sur le plateau de la RTG dans la soirée de ce jeudi 11 janvier vient davantage accentuer l’inconstance des autorités dans l’explication de la restriction de l’accès aux réseaux sociaux. Au point que depuis le début de cette limitation, on a eu droit à toutes les explications. Une des premières que le même Ousmane Gaoual Diallo avait essayé de donner tout au début étant une panne technique. Ensuite, on s’est opportunément accroché à la thèse de « sécurité nationale » que l’on a d’abord découverte dans le courrier de la HAC adressée à Canal+, quand il s’est agi du retrait de la télévision Djoma du bouquet de ce distributeur d’images. Ainsi donc, tout au début, la sécurité nationale ne valait que pour le brouillage des médias et leur retrait des différents bouquets. Mais ensuite, on en a fait une panacée.
Puis, il y a quelques jours, interpellé par le bâtonnier de l’ordre des avocats, dans le sillage de la cérémonie de présentation des vœux à sa personne, le ministre de la Justice et des Droits de l’homme avait un peu plus assumé la décision. Et Charles Wright l’expliquait par des dérives dont se rendraient des blogueurs sur les réseaux sociaux. En gros, il estimait que le retour à la normale devait être subordonné à une redéfinition des rapports entre les utilisateurs des réseaux sociaux et l’Etat.
Mais manifestement, aucune de ces tentatives de justification de cette décision, largement désapprouvée par l’opinion publique, n’aura été suffisamment convaincante. Y compris pour les autorités elles-mêmes. C’est pourquoi le porte-parole du gouvernement nous a sorti hier une toute nouvelle explication. Oui, selon Ousmane Gaoual Diallo, il y a bien l’enjeu sécuritaire. Mais selon lui, il y a surtout un enjeu économique. En somme, nous dit-il, l’utilisation des réseaux sociaux ne rapporterait pas à l’Etat ce qu’elle aurait dû lui rapporter en termes de revenus. Alors que l’exploitation de toutes ces plateformes générerait un chiffre d’affaires de plus de 1 milliard 200 millions de dollars US, chaque année, l’Etat guinéen n’en récolterait même pas 10 %. Or, cela est inacceptable quand on sait que c’est ce même Etat qui a financé le déploiement du backbone à hauteur de 285 millions de dollars US. Backbone dont les capacités sont à 80 % exploitées par ces mêmes plateformes.
Cependant, quel paradoxe ! L’Etat cherche prétendument à accroitre ses revenus. Mais en attendant, de l’aveu même d’Ousmane Gaoual Diallo, « l’Etat guinéen perd beaucoup d’argent. Parce que les applications des impôts, d’échanges interbancaires, d’édition des passeports, de cartes d’identité…tout est perturbé ».
Disons-le tout net. Si les mobiles de cette restriction avaient un quelconque lien avec ces explications d’Ousmane Gaoual Diallo, l’Etat s’y serait mieux pris. Parce qu’une concertation sur fond de pédagogie aurait produit de meilleurs résultats. Mais l’on comprend, cette explication-là, croit-on, est de nature à rendre plus admissible la restriction. Parce qu’elle est supposée plus noble de la part de l’Etat. Mais il se trouve qu’on ne peut pas y croire, parce que le raisonnement défie le bon sens.
Boubacar Sanso Barry
(Source : Le Djely, 12 janvier 2024)