Le chef de l’État camerounais, Paul Biya, ne souhaite pas voir l’entreprise publique Cameroon Telecommunications (Camtel), l’opérateur historique des télécoms au Cameroun, passer sous le contrôle du secteur privé. C’est du moins ce que révèle une lettre adressée le 4 décembre 2023 au ministre des Finances (Minfi) par le secrétaire général de la présidence de la République (SGPR). « (…) J’ai l’honneur de vous faire connaître que monsieur le président de la République vous prescrit de surseoir à tout schéma de réhabilitation visant la privatisation de la société Camtel ou de tout segment de son activité », écrit Ferdinand Ngoh Ngoh à Louis Paul Motazé, par ailleurs président du Comité interministériel de la mission de réhabilitation des entreprises du secteur public et parapublic.
Le courrier du SGPR, porteur de l’instruction présidentielle, intervient après le passage, le 15 novembre 2023, du ministre Motazé devant la commission des finances et du budget de l’Assemblée nationale, pour la défense de la loi de règlement de l’État de l’exercice budgétaire 2022. En effet, interrogé ce jour-là par les membres de la commission sur les performances peu reluisantes de Camtel, dans un secteur des télécoms où d’autres opérateurs affichent des performances enviables, le ministre des Finances a révélé que le gouvernement se prépare à faire éclater en trois entités le mastodonte public des télécoms, qui deviendra alors une holding.
« Évoquant le faible niveau de compétitivité de Camtel, au regard du dynamisme observé dans le secteur des télécommunications, le ministre des Finances a reconnu que le rendement de cette société n’est pas à la hauteur des attentes. C’est la raison pour laquelle un comité interministériel a siégé à l’effet d’examiner les contours de la restructuration de cette entreprise. La réflexion est en cours au sein du gouvernement pour relever ses performances. En perspective, il est envisagé que cette entreprise soit transformée en holding composée de trois entités », peut-on lire dans le rapport des travaux de la Commission des finances et du budget de l’Assemblée nationale, relatifs à la défense de la loi de règlement 2022 par le ministre des Finances.
4 000 employés et 600 milliards de FCFA de dettes
Comme on peut le constater dans l’extrait du rapport ci-dessus, le ministre Motazé n’a pas explicitement évoqué l’hypothèse de la privatisation de tout ou partie de Camtel devant les députés. De plus, soutient une source proche du dossier sur la réhabilitation de Camtel, « il y a effectivement eu une réunion de niveau ministériel pour examiner la situation alarmante de Camtel. La ministre des Postes et Télécommunications (Minpostel), le ministre de l’Économie (Minepat) et la DG de Camtel étaient tous là autour du ministre des Finances (Minfi), ainsi que le représentant de la présidence de la République. Le mot privatisation n’a jamais été prononcé et ne fait aucunement partie des solutions proposées. Les propositions majeures consistent à renforcer l’autonomie des business unit (fixe, mobile, transport), le tout chapeauté par Camtel, puis alléger les effectifs (4 000 employés), ainsi que la lourde dette (600 milliards de FCFA) ». Du coup, on peut s’interroger sur l’origine de l’objet du message du président de la République..
Pour rappel, depuis l’année 2020, la société Camtel est détentrice de trois licences, notamment pour l’exploitation d’un réseau de transport des communications électroniques, des réseaux de communications fixes, puis des réseaux mobiles. Les spécificités de chacune de ces licences donnent une indication plus ou moins claire sur les trois entités (actuellement appelées business unit au sein de l’entreprise) dont a parlé le ministre des Finances à l’Assemblée nationale le 15 novembre 2023, en révélant le projet de transformation de Camtel en une holding à trois filiales.
Par définition, « une holding appelée également “société mère”, est une structure qui a pour activité principale la détention totale ou partielle de titres sociaux (actions ou parts sociales) dans une ou plusieurs autres sociétés, dites “sociétés filles” ou “filiales”. La filiale est une société dont le capital est détenu partiellement (50% minimum) ou totalement par une société dite holding. Le rôle de cette dernière est de diriger, contrôler et administrer ses filiales », renseigne la plateforme legalstart.fr.
La suggestion de la Banque mondiale
Sur la base de cette définition, deux constats se dégagent. D’abord, les actifs d’une holding, pour rester sur le cas de Camtel, peuvent être majoritairement ou totalement détenus par l’État ou ses entités, ce qui permet à l’entreprise de rester dans le giron du public. Il en est de même des actifs des filiales. Ensuite, ces actifs, aussi bien dans la holding que dans les filiales, peuvent être majoritairement ou totalement détenus par des opérateurs privés, ce qui correspondrait à la privatisation de la société dans le cas d’espèce.
Cette dernière option à laquelle s’oppose le chef de l’État, selon la correspondance du SGPR, et qui ne ferait pas partie des solutions envisagées par le comité interministériel chargé de la réhabilitation des entreprises publiques, est, de bonnes sources, celle qui apparaît plus rassurante pour de nombreux opérateurs du secteur des télécoms au Cameroun. En effet, ces derniers n’hésitent pas à dire de Camtel qu’il est ce grossiste (gestion exclusive des infrastructures louées par les autres acteurs) qui fait encore lui-même concurrence aux détaillants (opérateurs de téléphonie mobile ou de services à valeurs ajoutées, fournisseurs d’accès à internet…). Dans un rapport publié en 2017 et intitulé « Cameroon Economic Memorandum », la Banque mondiale adopte la même posture, en suggérant au gouvernement de mettre un terme au monopole des entreprises comme Camtel (mainmise sur les infrastructures télécoms tout en étant fournisseur de services) et Bolloré (contrôle du fret ferroviaire et des services portuaires) « dans les secteurs produisant des intrants essentiels pour d’autres activités ».
Au cours d’un atelier organisé le 2 mars 2017 dans la capitale camerounaise, sur « la détermination des réformes à entreprendre en vue de l’amélioration de la compétitivité du secteur des TIC au Cameroun », cette institution de Bretton Woods avait déjà soutenu que la toute-puissance de Camtel dans le secteur des télécoms et TIC est porteuse de déséquilibre sur le marché camerounais. Elle avait alors conseillé au gouvernement la transformation de cette entreprise publique en une holding à deux entités : une filiale contrôlée par l’État, qui s’occuperait des infrastructures et du réseau de téléphonie fixe ; et une filiale dédiée au mobile et à la commercialisation de la fibre optique à domicile, qui serait, elle, ouverte à des investisseurs privés.
Brice R. Mbodiam
(Source : Investir au Cameroun, 7 décembre 2023)