Au Sénégal, la situation de l’état civil reste préoccupante. Que ce soit la déclaration de naissances ou le certificat de décès ou encore l’acte de mariage, etc., l’accès à ces documents et leur fiabilité posent toujours problème. Pour faire face, les autorités sénégalaises se sont lancées dans un processus de numérisation de l’état civil afin de faciliter l’accès à ces documents.
Actes de naissance « fictifs » ; le même numéro attribué à deux actes différents ; fraudes ; registres mal tenus, perdus ou détériorés ; agents laxistes : la liste des dysfonctionnements est longue lorsqu’il s’agit de l’état civil sénégalais. Ajoutez-y les lourdeurs et lenteurs administratives, la petite corruption et l’amateurisme des agents chargés de la délivrance de ses documents et vous avez tout ce qu’il faut pour donner des maux de têtes aux citoyens lorsqu’ils ont besoin de se procurer ces documents.
Ces manquements ne sont pas sans conséquences sur la vie de citoyens dont certains, en plus de rater des opportunités, font face au risque de vivre comme des apatrides dans leur propre pays.
C’est pour trouver une solution à ces irrégularités liées à l’état civil que l’Etat du Sénégal a initié en 2021 un programme national de numérisation de l’état civil, financé à hauteur de 18 milliards FCFA. Le programme vise à mettre en place un système d’information et un registre national de l’état civil.
Le projet compte numériser 15 millions d’actes d’état civil afin de permettre à tout citoyen de disposer de son extrait de naissance partout au Sénégal, grâce à une interconnexion en cours de mise en œuvre.
« La numérisation va permettre de régler les problèmes d’accès, de sécurisation, mais surtout les questions de responsabilité », indique le directeur général de l’Agence nationale de l’état civil (Anec), Aliou Ousmane Sall, lors d’une session du Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct), le 22 novembre 2023.
« Dans un centre d’état civil, l’agent qui a élaboré un acte et qui l’a signé, peut faire une erreur, introduire un doublon, faire des ratures. Mais avec la digitalisation, nous avons une application qui permet de régler tous ces problèmes », souligne le DG de l’Anec.
Contre les pertes de temps
En plus des problèmes d’irrégularité dans les actes d’état civil, le programme vise à régler la question du temps que des citoyens perdent dans les services d’état civil.
Au centre d’état civil de Rufisque (25 km de Dakar), Pape Sène, rencontré devant la porte de l’institution, rouspète de ne pouvoir rentrer avec les copies d’extrait de naissance de ses deux enfants. « Ils m’ont dit de revenir à 15 heures pour le retrait. Je ne pourrai pas car j’ai d’autres occupations », indique cet employé d’une compagnie d’Assurance à Dakar. Il trouve anormal que les gens « perdent toute une journée juste pour se faire délivrer une copie de pièce d’état civil ».
Si les copies ne peuvent pas être établies séance tenante et délivrées aux citoyens, il y a bien une raison, selon Amadou Niang, agent au Centre d’état civil de Rufisque. « Il y a beaucoup d’actes fictifs. Les agents de l’état civil ont besoin de temps pour bien vérifier l’existence réelle des actes qui nous sont demandés dans les registres », justifie M. Niang interrogé par Ouestaf News.
Un acte d’état civil (naissance, mariage, décès…) est fictif quand la situation qu’il établit n’existe pas, c’est-à-dire, n’est pas enregistré au niveau des registres, fait savoir Amadou Niang.
« Nous rencontrons chaque jour 30 à 40 actes fictifs », indique l’officier d’état civil.
En février 2022, un réseau de trafic de faux documents qui tenait un registre de naissance parallèle depuis 2018, avait été démantelé dans la commune de Rufisque-Est, par la police. Le présumé cerveau, le chef du bureau des registres et des agents confectionnaient de faux extraits de naissance au profit de personnes de nationalités étrangères.
Pour juguler ces tricheries et dysfonctionnements, Amadou Niang soutient que la commune de Rufisque s’est engagée depuis 2018 dans la numérisation des actes d’état civil bien avant ce programme. Ce qui fait qu’au centre pilote de la commune, « les actes de 1950 à 2022 sont déjà tous numérisés », se félicite M. Niang qui espère que « d’ici juin 2024 » tout sera digitalisé au niveau de son centre.
La première phase de ce programme est consacrée à la numérisation des registres d’état civil.
La digitalisation des registres consiste « à scanner les actes d’état civil contenus dans les registres » et à les stocker dans une basse de données, explique l’expert en informatisation de l’état civil, Lamine Diop, dans un entretien avec Ouestaf News.
Mais en amont, il y a un travail de nettoyage des registres. « On peut trouver des actes qui sont faux ou avec des ratures, dans les registres. Si ses actes sont saisis sans être épluchés, l’enregistrement numérique aura été faite sur du faux », avertit Lamine Diop.
Ces anomalies et risques dans les services d’état civil s’expliquent, selon Dr Mor Dièye, chef du département archives de l’Ecole des bibliothécaires archivistes et documentalistes (Ebad) de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad), par un archivage physique mal fait. « On ne peut pas numériser sans archiver physiquement », note-il. Or, poursuit Dr Dièye, « certains centres d’état civil et des collectivités locales ne respectent pas la réglementation concernant les registres ».
Selon l’article 38 du Code de la famille, les registres comportent des feuillets reliés composés chacun de « trois volets », dont le volet 1 qui est remis au déclarant, le deuxième conservé à l’état civil et le troisième déposé au Tribunal.
« Si le registre physique est faux, la numérisation le sera aussi », souligne le chef des archives de l’Ebad, précisant que la numérisation n’est qu’une « réplique du document physique ».
L’expert en informatisation d’état civil, Lamine Diop précise lui aussi que « la numérisation ne devrait se faire tant que l’officier n’a pas l’assurance que les actes d’état civil enregistrés dans le registre physique sont bien authentiques ».
Numériser ne suffit pas
D’après Dr Mor Dièye, le problème de la fraude ne peut être réglé par « un simple projet de numérisation et de mise en place d’une plateforme ». Si « on fait la déclaration à partir d’une procédure ouverte sur la plateforme de matérialisation, il n’y aura pas de risque de fraude car les numéros sont attribués automatiquement », explique Dr Dièye co-auteur d’un article intitulé « La conservation numérique de l’état civil sénégalais, un moyen de démocratisation de l’accès à l’information dans une ville intelligente ».
En ce qui concerne les infrastructures, le directeur général de l’Anec, Aliou Ousmane Sall rappelle qu’il y a « 32 centres d’état civil qui sont en construction, 100 centres d’archivage rénovés et 40 salles préparées pour l’informatisation » sur l’étendue du territoire national.
En plus de gros moyens financiers qu’il requiert le projet de digitalisation de l’état civil nécessite aussi un personnel compétent et qualifié, des infrastructures de stockage pour l’archivage numérique, le matériel de numérisation, etc., rappelle Dr Mor Dièye de l’Ebad.
A côté de tout cela, il faut assurer « l’électrification, l’accès à l’Internet pour les zones lointaines qui ne sont pas encore connectables au réseau », note Lamine Diop, expert en informatisation de l’état civil.
(Source : Ouestafnews, 12 avril 2024)