Le Sénégal est désormais le 22e pays d’Afrique à appliquer la TVA sur les services numériques. Une décision censée réguler l’activité des géants mondiaux de la Tech, mais qui risque de pénaliser les consommateurs.
À partir de ce lundi 1er juillet, un nouvel impôt voit le jour dans le pays de la Teranga. La Direction générale des impôts et des domaines (DGID) du Sénégal a en effet annoncé qu’une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) s’appliquera désormais sur les prestations de services numériques réalisées par des plateformes numériques et fournisseurs en ligne étrangers.
Son introduction s’inscrit dans un contexte de transformation numérique, qui permet aux sociétés et plateformes numériques étrangères d’être actives dans les pays africains sans être présentes physiquement. Or, dans les pays où elles ne sont pas résidentes, ces entreprises n’ont pas l’obligation directe de payer des impôts. Cette situation de déperdition fiscale représente un défi majeur pour les économies africaines. Le Sénégal a donc adopté une taxe afin de fiscaliser les revenus des multinationales actives sur son territoire, telles que Google, Amazon, Meta ou Microsoft.
Selon le Bureau d’information gouvernementale sénégalais (BIG), ce nouvel impôt doit s’appliquer aux plateformes et places de marché en ligne qui facilitent les transactions entre clients et fournisseurs, aux plateformes de téléchargement et de diffusion de films, musique, jeux en ligne, et aux services de cloud et de gestion de bases de données. La mesure vise également les plateformes d’enseignement et d’apprentissage en ligne et d’hébergement de divers contenus (sites web, textes et images).
La base imposable sera déterminée en fonction du chiffre d’affaires des plateformes numériques étrangères ou des fournisseurs non résidents. Pour rappel, le taux normal de TVA en vigueur au Sénégal est de 18 %.
Un fardeau pour les consommateurs ?
Grâce à cette nouvelle taxe, Dakar espère dégager des recettes fiscales supplémentaires et s’assure que les entreprises numériques étrangères paient leur juste part et contribuent de manière équitable à l’économie sénégalaise.
Onica Makwakwa, spécialiste de l’inclusion et de l’égalité numérique et codirectrice générale de Global Digital Inclusion Partnership, n’est pas de cet avis. Pour elle, la TVA appliquée aux services numériques sera à la charge des consommateurs sénégalais. Elle considère d’ailleurs que la TVA devrait plus justement s’appeler « taxe imposée aux consommateurs », au titre que c’est un impôt indirect sur la consommation, collecté par les entreprises sur les consommateurs avant d’être reversé à l’État.
À cause de la TVA qui se généralise aux services numériques dans les pays africains, « l’accessibilité financière [de ces services] devient un défi encore plus grand et la fracture numérique s’accentue, car nous savons très bien que l’une des principales raisons, pour lesquelles les gens, en particulier les femmes, ne sont pas connectés à Internet, est l’accessibilité financière », souligne l’experte.
Une taxe aux services numériques présente dans 21 pays en Afrique
Et le Sénégal n’est pas le seul pays du continent à se mobiliser pour encadrer l’activité des plateformes numériques. Depuis fin 2023, les commissions perçues par les plateformes étrangères de mise en relations et de commerce en ligne en Côte d’Ivoire sont également assujetties à un taux de TVA de 18 %.
D’après le rapport 2024 de PwC, relatif à la TVA sur les services électroniques en Afrique, 21 pays appliquent la taxe aux services numériques, mais jusqu’à présent seuls trois d’entre eux, le Nigeria, le Kenya et le Zimbabwe, imposent directement les opérations des entreprises numériques non résidentes.
Une fiscalisation des recettes des entreprises numériques qui a été impulsée par le Zimbabwe. Dès 2019, le gouvernement a étendu sa TVA, fixée à un taux de 15 %, aux services numériques proposés par des sociétés non résidentes et a instauré une taxe de 5 % sur le revenu brut annuel des services de diffusion d’émissions de télévision ou de radio, ainsi que des opérateurs d’e-commerce étrangers fournissant des biens ou des services à des personnes résidant au Zimbabwe, s’il dépasse les 500 000 dollars (468 000 euros).
La même année, le gouvernement nigérian a annoncé l’introduction d’un impôt à hauteur de 30 % du revenu imposable des sociétés proposant divers services numériques, auxquels s’applique également la TVA avec un taux en vigueur de 7,5 %. Ces services incluent l’e-commerce, le stockage de données, les publicités, ou encore les paiements en ligne. Cette taxe s’applique uniquement aux entreprises étrangères qui réalisent plus de 25 millions de nairas (15 000 euros) de chiffre d’affaires, avec une présence économique importante dans le pays. Une mesure très similaire à la taxe SEP adoptée depuis peu par le Kenya.
Deux types de taxation au Kenya
En effet, en 2021, le Kenya a mis en place une taxe fixée à 1,5 % de la valeur brute des revenus générés par les opérations numériques : la « Digital Service Tax » (DST). Toutefois, Nairobi vient de faire marche arrière, comme en témoigne son projet de loi de finances 2024, qui prévoit de remplacer la DST par la taxe « Significant Economic Presence » (SEP).
Le Kenya a ainsi abandonné sa taxe unilatérale et a approuvé l’impôt proposé par l’OCDE : le prélever sur le revenu des entreprises numériques non résidentes. Le taux d’imposition SEP est fixé à 30 % du bénéfice imposable, estimé à 20 % du chiffre d’affaires. En englobant davantage d’activités numériques et en introduisant un taux d’imposition plus élevé par rapport à la DST, il génère ainsi un revenu plus important pour Nairobi. En revanche, au Kenya, la TVA à un taux de 16 % continuera de s’appliquer aux services numériques.
On distingue donc deux taxes : la TVA d’un côté, et de l’autre, la taxe prélevée directement sur les recettes brutes d’une société étrangère. Pour Onica Makwakwa, « le secteur numérique est en pleine expansion et contribue à la croissance des économies africaines. Trop de taxes ne feront que ralentir et nuire à la croissance de ce secteur, d’autant que moins de 50 % de la population africaine est aujourd’hui connectée, il y a donc encore beaucoup à faire. Nous devons promouvoir l’accès universel aux services numériques et cela n’arrivera pas s’ils ne sont pas abordables. »
Ainsi, elle n’est pas non plus favorable à la taxation directe des revenus bruts des sociétés du numérique, même si elle reconnaît qu’un « impôt sur les sociétés est préférable à un impôt sur les consommateurs ».
(Source : Jeune Afrique, 1er juillet 2024)