Au Togo, l’économie numérique est au centre de toutes les attentions. L’ambition du pays est de faire du numérique un outil qui participe à l’amélioration des conditions de vie des populations. A l’horizon 2025, l’accélération de l’inclusion sociale et le développement économique par le numérique reste un objectif primordial à atteindre. C‘est pourquoi, les acteurs locaux sont de plus en plus impliqués dans les initiatives pour le renforcement de l’écosystème numérique du pays.
Cina Lawson, le ministre de l’Economie numérique et de la transformation digitale a annoncé récemment une plateforme digitale pour recenser l’ensemble des acteurs du numérique au Togo. Il s’agit de se doter d’une visibilité claire de l’écosystème, afin d’identifier les besoins et y répondre. L’objectif est de permettre à ces différents acteurs de jouer pleinement leur rôle pour la transformation numérique du pays. Au rang des défis à relever, la disponibilité de l’énergie, de la connectivité, la production et la consommation continue des services numériques locaux, analysent divers acteurs de l’écosystème.
Des avancées significatives ont été enregistrées ces dernières années pour le développement du numérique. Edem Adjamagbo, CEO de Semoa note une « accélération de l’accompagnement des startups ; leur prise en compte depuis 2023, avec un travail de recensement des acteurs de l’écosystème en partenariat avec la GIZ. » Pour le patron de cette entreprise spécialisée dans la digitalisation des moyens de paiement, « il faut que les investisseurs privés aient un regard attentif sur le Togo comme étant un pays d’opportunités en termes d’investissements dans le digital. » Face à la compétition mondiale en cours dans le secteur, Edem Adjamagbo suggère « un marketing public » en faveur du secteur.
Contribuer à exporter le génie togolais du numérique à l’extérieur, c’est aussi cela la vision de l’Entente des spécialistes togolais en technologies de l’information et de la communication (ESTETIC). Dans sa récente sortie, l’ESTETIC a elle aussi souligné les avancées enregistrées dans le secteur. L’association des acteurs de l’économie numérique s’est félicitée de l’amélioration de la connectivité, notamment dans les principales villes du pays, même si elle l’est encore moins dans les communautés urbaines. Il y a deux ans, ESTETIC dénonçait une gestion des points d’atterrissement des câbles internet qui s’apparenterait à « une douane et un péage numérique. » Deux ans après, « la situation s’est considérablement améliorée, avec la chute du prix du haut débit », se réjouit l’ESTETIC. Toutefois, selon l’association, d’autres défis sont à relever pour une économie numérique développée.
Energie et connectivité
« On ne peut avoir de connectivité sans énergie », martelle Edem Adjamagbo dont la société a des impératifs de garantie de continuité de service pour ses clients. « Aujourd’hui, nous nous retrouvons avec des coupures d’électricité de 3 à 4h des fois au bureau, et c’est vraiment impactant. Lorsque nous travaillons avec des grands groupes bancaires internationaux, ils ne peuvent pas comprendre que nous soyons hors ligne ou que nous n’ayons pas la capacité d’intervenir en cas d’urgence”, soutient-il. Le CEO de Semoa témoigne : « nous avons eu, il y a quelques jours un souci avec une des plateformes WhatsApp banking d’une des banques et nous avons obligation, pour des raisons règlementaires de la BCEAO, de rendre le service disponible maximum dans les 4h qui suivent. On a dû compter sur les batteries de nos PC portables et la 4G pour intervenir et faire les correctifs. » « C’est une situation très embêtante. Si on veut développer le digital au Togo et la confiance des clients en ces outils, il faut que ce qui permet à ces outils de fonctionner, l’énergie ne soit pas un problème. »
« Lorsque la CEET n’est pas disponible, nous en prenons cher », confie Ayikido Noagbodji, Directeur Général de Cloud et Racks. Même si pour assurer la continuité de service de son datacenter, il recourt à des mesures alternatives comme les énergies renouvelables, le chef d’entreprise pense qu’il faut accompagner les entreprises à faire face à la crise énergétique que traverse le pays. L’enjeu, c’est aussi encourager les entreprises à héberger leurs données en local, explique Ayikido Noagbodji. S’exprimant lors de la dernière conférence de presse de l’ESTETIC, le Directeur général adjoint de Café Informatique et télécommunications et DG de Cloud et Racks. Pour lui « il est important d’héberger en local pour résoudre le problème de vitesse et de souveraineté des données ». « Ce qui crée le coût de la connectivité, c’est certes l’infrastructure réseau du telco, mais aussi le coût de la data sur le réseau international », analyse Edem Adjamagbo qui rappelle que « Le Togo s’est doté d’un datacenter justement dans la stratégie du développement du digital. » « Si nous arrivons à produire du contenu digital hébergé localement dans ce datacenter ou dans d’autres qui viendraient par la suite, cela permettrait d’éviter de sortir sur des câbles internationaux et de réduire le coût d’accès aux services ou aux contenus digitaux pour les usagers », ajoute-il. Le CEO de Semoa estime qu’il faut mettre en place des mécanismes pour encourager les entreprises à aller dans ce sens.
Encourager des usages productifs
L’amélioration de la connectivité constatée par les différents acteurs ne porte pas encore les fruits escomptés. Chez Semoa par exemple, il est fréquent de constater que les services ne sont pas utilisés les usagers durant des jours consécutifs. Edem Adjamagbo analyse une connectivité en dent de scie des utilisateurs qui, souvent, utilisent plus souvent leur connexion pour les réseaux sociaux que pour des services à valeur ajoutée proposés en local. Pour le patron de cette jeune entreprise togolaise, le défi est d’amener les consommateurs à utiliser la connectivité à des fins professionnelles, tout comme l’outil digital. « Il y a un travail à faire pour démocratiser l’accès à internet et faire intégrer dans l’esprit des utilisateurs que la connexion peut leur permettre de travailler et améliorer leur quotidien. Cela doit passer par plus de services digitaux publics ; par l’incitation des privés aussi à digitaliser au maximum leur processus, de façon à ce que l’utilisation quotidienne du digital entre dans les habitudes. »
De son côté, ESTETIC va dans le même sens et recommande d’aller au-delà de l’utilisation d’internet et des outils digitaux à des fins de distraction. Kwaku Agbeko Dogba, président de l’association fait remarquer que « les usages ne suivent pas forcément l’avancée des technologies. » « C’est bien de se divertir à travers les réseaux sociaux, mais où est la production, la création de contenus qui permettra d’amener notre économie plus loin ? C’est un défi qui est lancé aux consommateurs et utilisateurs, de manière générale », estime M. Dogba. ESTETIC soutient que l’accessibilité des solutions numériques aux populations passe aussi par la mutualisation des infrastructures des acteurs. Cela permettra de faire baisser les coûts, analyse l’association.
Energie, connectivité, accompagnement des entreprises, marketing international, mutualisation des infrastructures, politique d’hébergement des données en local, production de contenus locaux et adaptés aux besoins, sensibilisation pour un usage productif des outils numériques. Les leviers de développement de l’économie numérique au Togo sont ainsi exposés. Reste à accélérer davantage les actions pour être au rendez-vous de l’inclusion numérique et économique voulue d’ici 2025.
Souleyman Tobias
(Source : CIO Mag, 7 mars 2024)